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La faute inexcusable de l'employeur, un enjeu financier pour l'entreprise

Tout salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur qui en est à l'origine, afin d'obtenir une meilleure indemnisation de son préjudice. Cette faculté n'est pas à prendre à la légère par l'employeur. En effet, si la victime arrive à démontrer la faute inexcusable, les répercussions financières peuvent être très lourdes pour l'entreprise.


Désormais, le manquement de l'employeur à son obligation contractuelle de sécurité constitue une faute qualifiée d'inexcusable si l'employeur avait ou devait avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.


La faute inexcusable est une notion purement jurisprudentielle. Dans un arrêt du 15 avril 1941, la Cour de cassation définissait la faute inexcusable comme « une faute d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l'absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d'un élément intentionnel de la faute intentionnelle ».

Les critères de la faute inexcusable étant cumulatifs, le défaut de l'un d'eux empêchait sa reconnaissance. Pour la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, faire condamner l'employeur sur le fondement de la faute inexcusable se révélait donc une tâche difficile, voire impossible. L'employeur jouissait d'une immunité quasi totale.


UNE NOUVELLE CONCEPTION DE LA FAUTE INEXCUSABLE

Les arrêts relatifs à l'amiante rendus en 2002 vont inverser cette tendance et faciliter la reconnaissance de la faute inexcusable. En effet, dans une série d'arrêts du 28 février 2002, la Cour de cassation donne une nouvelle définition de la faute inexcusable de l'employeur. Elle considère qu'« en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la Sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver » (Soc., 28 février 2002, RJS 5/02 n° 618, 6e et 7e esp., 621, 622, 623, 626 et 629). Cette nouvelle définition de la faute inexcusable en matière de maladies professionnelles a été étendue aux accidents du travail par une décision du 11 avril 2002 (Soc., n° 00-16.535).

À la lecture des décisions du 28 février 2002, on constate que leur apport essentiel consiste à atténuer la gravité que doit revêtir la faute inexcusable pour pouvoir être retenue. Après 2002, il n'est plus nécessaire qu'elle présente un caractère d'exceptionnelle gravité. Les autres éléments de l'ancienne définition, comme la cause déterminante et l'absence de fait justificatif, sont supprimés.

Par ailleurs, il devient indifférent que la faute commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident dont a été victime le salarié. Il suffit qu'elle soit une cause nécessaire du dommage pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée (Soc., 31 octobre 2002, n° 01-20.445). Le fait que le salarié ait lui-même commis une imprudence ayant concouru à son dommage ne peut pas atténuer la faute de l'employeur (Soc., 31 octobre 2002 n° 00-18.359).

Désormais, le manquement de l'employeur à son obligation contractuelle de sécurité constitue une faute qualifiée d'inexcusable si l'employeur avait ou devait avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.


ÉTENDUE DE L'OBLIGATION DE SÉCURITÉ

L'employeur est tenu, de par le contrat de travail le liant au salarié, d'une obligation de sécurité envers celui-ci. En qualifiant cette obligation de sécurité d'obligation de résultat, la Cour de cassation oblige l'employeur à tout mettre en oeuvre afin d'éviter l'accident ou la maladie professionnelle. La mise à jour du document unique d'évaluation des risques, l'implication des membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans l'identification des risques auxquels les salariés peuvent être exposés, ou encore la formation du personnel d'encadrement aux problématiques de santé au travail sont autant de mesures que l'entreprise doit prendre. Néanmoins, même si l'employeur met en place une vraie stratégie de prévention des risques professionnels, la survenance d'un accident de travail démontrera que cette obligation de sécurité n'est pas respectée. L'entreprise n'a donc plus droit à l'erreur en matière de sécurité au travail.

La Cour de cassation l'a récemment démontré, puisqu'elle a admis que cette obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur pouvait entrer en jeu en amont au stade de la prévention, et non pas uniquement lorsque survient l'accident ou une maladie professionnelle. Ainsi, la Haute Juridiction a jugé, dans un arrêt du 30 novembre 2010, que l'employeur qui expose un salarié à un risque identifié sans prendre les mesures de protection appropriées manque à son obligation de résultat. Ce manquement cause nécessairement un préjudice à l'intéressé justifiant son indemnisation. Le fait que l'exposition au risque n'ait pas eu d'incidence avérée sur la santé du salarié et qu'aucune affection professionnelle n'ait été par la suite développée ne permet pas d'écarter la faute de l'employeur. Dans cette affaire, ce qui était reproché à l'entreprise utilisatrice est de n'avoir pas fourni à un intérimaire exposé à des fumées de soudage un masque de protection dès le début de sa mission, mais seulement dix jours après. Cette remise tardive constituait nécessairement un préjudice pour le salarié, même si l'exposition n'a eu aucun effet avéré sur sa santé (Soc., 30 novembre 2010, n° 08-70.390).

Cette obligation de sécurité de résultat concerne également la protection des salariés contre le harcèlement moral ou la violence au travail. La Cour de cassation a ainsi affirmé que l'employeur « tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime, sur le lieu de travail, d'agissements de harcèlement moral ou sexuel ou de violences physiques ou morales exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements ». L'obligation de prévention est quasi absolue. Elle pèse sur l'employeur alors qu'il a agi dès qu'il a eu connaissance de la situation de harcèlement ou de violence au travail (Soc., 3 février 2010, n° 08-44.019 et n° 08-40.144).


QUE RECOUVRE LA NOTION DE CONSCIENCE DU DANGER ?

Dans une décision du 3 juillet 2008, la deuxième chambre civile a précisé la notion de conscience du danger. S'agissant d'un salarié de la société EDF qui était amené, pour son activité, à utiliser « des éléments contenant de l'amiante, tels que plaques, tresses, toiles pour les joints de calorifugeage », la cour d'appel avait écarté la demande en reconnaissance de faute inexcusable. Elle avait retenu « que cette société n'utilisait pas l'amiante comme matière première et ne participait pas à l'activité industrielle de fabrication et de transformation de l'amiante, et qu'il ne peut être argué avant 1977 d'une réglementation spécifique applicable aux entreprises autres que les fabricants ».

La deuxième chambre civile a cassé cette décision, reprochant à la cour d'appel de n'avoir pas recherché si, « compte tenu, notamment, de son importance, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté son salarié, ladite société n'aurait pas dû avoir conscience du danger auquel il était exposé » (Civ. 2e, 3 juillet 2008, n° 07-18.689). Cette conscience du danger est celle que l'employeur doit ou aurait dû avoir in abstracto en tant que professionnel averti, compte tenu de ses connaissances, de sa formation, de son expérience et de ses obligations professionnelles.


LA CHARGE DE LA PREUVE D'UNE FAUTE INEXCUSABLE

En instituant une obligation de sécurité de résultat, on aurait pu croire que la victime n'avait plus à démontrer l'existence d'une faute. La jurisprudence en a décidé autrement. La victime ou ses ayants droit doit rapporter la preuve que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel le salarié se trouvait exposé, ou qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (Civ. 2e, 22 mars 2005, n° 03-20.044). Cette preuve peut être apportée par tout moyen.

Par exception, l'existence de la faute inexcusable est présumée établie pour les salariés sous contrat à durée déterminée et les salariés mis à disposition d'une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, ils n'auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l'article L. 4154-2 du code du travail (article L. 4154-3 du code du travail). Il s'agit d'une présomption simple.

En revanche, le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur est de droit pour le salarié ou les salariés qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un membre du comité hygiène, sécurité et conditions de travail avait signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé (article L. 4131-4 du code du travail). Il s'agit, dans ce cas, d'une présomption irréfragable.

La responsabilité de l'employeur peut se trouver engagée en raison non seulement de sa propre faute inexcusable, mais également de celles des personnes « qu'il s'est substituées dans la direction » (article L. 452-1 du code de la Sécurité sociale). En tant que personnes substituées à l'employeur, sont concernés le cadre, le chef d'équipe ou le chef de chantier. La jurisprudence n'exige pas qu'il y ait une délégation de pouvoir. Ainsi, un salarié qui exerce, dans son service, un pouvoir de direction sur un autre dans l'exécution des tâches confiées, est considéré comme un substitué de l'employeur (Soc., 23 mai 1991, n° 89-18.294).

Les répercussions financières de la reconnaissance d'une faute inexcusable sont directement liées à l'indemnisation de la victime. Le constat d'une faute inexcusable commise par un employeur ouvre droit, au profit de la victime ou de ses ayants droit, à une indemnisation complémentaire versée par la caisse primaire d'assurance maladie (article L. 452-1 du code de la Sécurité sociale).


LES COMPOSANTES DE L'INDEMNISATION

Cette indemnisation complémentaire se décompose en :

- une majoration de la rente d'incapacité, évaluée, dans la limite d'un plafond, en fonction de la gravité de la faute et qu'une faute de la victime vient, le cas échéant, atténuer. Son montant est fixé de telle sorte que la rente allouée à la victime ne puisse excéder soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de la capacité, soit le salaire total en cas d'incapacité totale (article L. 452-2 du code de la Sécurité sociale). Par ailleurs, lorsqu'une indemnité en capital a été versée à la victime, le montant de la majoration ne peut pas dépasser celui de cette indemnité (article L. 452-2 du code de la Sécurité sociale) ;

- une indemnisation des autres préjudices. Au-delà de la majoration de la rente, la victime a le droit de demander à l'employeur, devant la juridiction de la Sécurité sociale, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales qu'elle a endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément, ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Ce droit s'étend, en cas de décès, au préjudice moral subi par les ayants droit.

Ces éléments sont appréciés souverainement par les juges du fond (article L. 452-3, du code de la Sécurité sociale).

C'est la CPAM qui verse au salarié victime de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle (ou à ses ayants droit) les majorations de rente et au moins une partie des indemnisations complémentaires obtenues en réparation du préjudice subi. Elle récupère ensuite ces sommes auprès de l'employeur au moyen d'une cotisation complémentaire, pour la majoration de la rente, et d'une action récursoire en ce qui concerne l'indemnisation des autres préjudices (articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la Sécurité sociale).

Le taux de la cotisation complémentaire ne peut pas excéder 50 % de la cotisation normale d'accident du travail, ni 3 % des salaires servant d'assiette à cette cotisation. Sa durée maximale de versement est de vingt ans (article R. 452-1 du code de la Sécurité sociale).

En revanche, aucun texte ne précise les modalités de remboursement par l'employeur des indemnisations complémentaires réparant les divers préjudices subis par la victime. La CPAM agit dans ce cas comme un créancier de droit commun et dispose d'un délai de cinq ans pour récupérer les sommes versées au salarié auprès de la personne physique ou morale qui a la qualité juridique d'employeur, quel que soit l'auteur de la faute. Cette dernière précision est importante, puisqu'elle signifie que les sommes avancées par la caisse ne sont récupérables que sur le patrimoine de l'entreprise et non sur le patrimoine individuel de l'employeur.

Afin d'éviter d'avoir à supporter ces répercussions financières qui peuvent s'avérer très lourdes, l'employeur a toujours la possibilité de s'assurer contre sa propre faute inexcusable (article L. 452-4 du code de la Sécurité sociale). Dans ce cas, il pourra être redevable d'une cotisation supplémentaire imposée par la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat, anciennement Cram).

L'émergence des risques psychosociaux (stress, souffrance au travail...) ouvre à nouveau le champ des possibles en matière de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Une décision de la cour d'appel de Versailles du 19 mai 2011 impliquant le constructeur automobile Renault nous le confirme. La faute inexcusable de la marque au losange a en effet été retenue à la suite du suicide de l'un de ses salariés. Pour les magistrats, ce drame aurait pu être évité, notamment par la mise en place d'un système d'évaluation des risques psychosociaux permettant aux managers de prendre les mesures de protection adéquates en vue d'en préserver les salariés (cour d'appel de Versailles, 19 mai 2011, n° 10/954).

La prévention des risques professionnels devient plus que jamais un enjeu majeur pour l'entreprise.


Vers une réparation intégrale des préjudices du salarié

- Jusqu'à présent, l'énumération légale des préjudices pouvant être réparés était limitative. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d'interprétation sur cette liste limitative. Selon lui, les victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dus à la faute inexcusable de l'employeur doivent pouvoir demander réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le régime d'indemnisation des accidents du travail (Cons. const., déc. ,18 juin 2010, n° 2010-8 QPC, L). Cela alourdira d'autant la note pour les employeurs fautifs.


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